HOMELIE DU CARDINAL JEAN PIERRE KUTWÃ ARCHEVEQUE D’ABIDJAN Paroisse Saint François Xavier ANONO Dimanche 6 décembre 2020

 

A L’OCCASION DES 15 ANS DE LA PAROISSE, DU JUBILE D’ARGENT DE VIE CONSACREE DE FRERE INNOCENT, SŒUR AGNES ADJASSO, SŒUR EMILIE DJOMAN ET DE L’INAUGURATION DU BLOC ADMINISTRATIF PERE BLAISE ANOH

Is.40, 1…11/ Ps 84 / 2Pi.3, 8-14 / Mc.1, 1-8

       

Chant : Min né ya ya sé wanthé, Min hon minhin djèto, Min tè sè apasa ognin, (wanthé brétè li adominigan, alèpè mankè (2))

        Comment ne pas louer Dieu ? Comment ne pas élever son nom très haut ? Comment ne pas proclamer à toutes les nations que Dieu seul est le Tout-Puissant et qu’il n’y en a pas d’autre ? Voici ce que dit ce chant d’action de grâce qui monte de nos cœurs, pour traduire à Dieu toute notre reconnaissance pour les merveilles qu’Il ne cesse d’accomplir dans la vie de ses créatures que nous sommes. Oui, tous ensemble, rendons grâce à Dieu, Lui dont la fidélité n’est jamais prise à défaut, nonobstant les difficultés que nous pouvons rencontrer, d’où qu’elles viennent et quelles qu’elles soient ! Disons Lui merci à pleine voix, Lui qui nous offre ces moments de grande joie, alors que tout autour de nous semble triste, sombre et morose !

 

        Malgré l’atmosphère quelque peu morose que traverse notre pays, vous avez décidé de tourner particulièrement, vos cœurs et vos regards vers le Seigneur qui sait écrire droit, même avec des lignes courbes, pour Lui traduire votre reconnaissance à l’occasion du quinzième anniversaire d’existence de votre paroisse, placée sous le patronage de Saint François Xavier, infatigable missionnaire, que nous avons célébré le jeudi dernier, et que vous décidez d’honorer avec faste aujourd’hui ! Et comme pour marquer cette espérance, vous nous proposer l’inauguration du bloc administratif qui porte le nom d’un illustre serviteur de Dieu, Monseigneur Blaise ANOH, de vénérée mémoire !

 

 

Excellence Mgr Ignace DOGBO BESSI, Président de la CECCI,

Excellence Mgr Joseph AKE, Archevêque de GAGNOA,

Excellence Mgr Paul DACOURY-TABLEY, Evêque émérite de Grand Bassam,

Monseigneur Hervé DJEZOU, Vicaire Général de Yamoussoukro,

Révérends Pères,

Révérendes Sœurs,

Chers frères des confessions religieuses d’Anono,

Frères et sœurs,Assurément, ce 2ème dimanche de l’Avent de l’année liturgique B sera gravé dans la mémoire collective du peuple de Dieu qui est ici à Anono, puisque c’est également ce jour qui a été choisi pour honorer certains des fils de ce village, pour avoir dit oui au Seigneur il y’a de cela vingt-cinq années aujourd’hui, ces fils pour qui cette célébration d’action de grâce de ce jour, a une saveur plus grande et plus suave. Je cite :le frère Innocent AHOUAGOU BODA, de l’Ordre des Frères Mineurs Franciscains ;  sœur Agnès ADJASSO SAGOU de la Congrégation des Sœurs Notre Dame de la Paix, et  sœur André Emilie DJOMAN, de l’Institut des Sœurs Notre Dame de l’Incarnation. 

 

Oui, vraiment, ce jour que fit le Seigneur, est pour vous, communauté catholique d’Anono et pour tout le village, jour de fête et de joie en ce temps de l’Avent, temps qui nous prépare à Noël, en nous invitant à élever notre regard et à ouvrir notre cœur pour accueillir Jésus, l’espérance de notre humanité ! Comme vous le savez certainement, le temps de l’Avent, c’est également celui qui nous invite à sortir d’un mode de vie résigné et routinier, bien plus, à nous alimenter d’espérances nouvelles, de rêves pour un avenir nouveau, car l’attente du retour glorieux du Christ est certainement pour tous, plus qu’une Bonne Nouvelle, elle est une aube nouvelle qui se profile à l’horizon! Dès lors, il nous faut aller plus loin pour affirmer notre foi et notre espérance en Dieu !

 

Dimanche dernier, premier dimanche de l’Avent, les textes que l’Eglise proposait à notre méditation, appelaient chacun de nous à la vigilance et au changement de vie ; à comprendre aujourd’hui, la nécessité de la conversion et de la préparation de nos cœurs. L’évangile avait particulièrement insisté pour nous demander de rester éveillés et fidèles à la tâche que le Christ nous a donnés à accomplir. En définitive, la venue du Christ à Noël nous commandait d’avoir le souci de devenir meilleurs, de lutter contre nos défauts, non par souci de moralité ou pour ne pas être condamnés, mais tout simplement pour plaire à Celui qui nous aime et qui nous ouvrira ses bras au soir de notre vie.

 

Et Dieu qui ne nous abandonne jamais, continue d’avoir une parole d’espérance pour nous. Cette Parole d’espérance, c’est la voix qui proclame : ‘‘Préparez à travers le désert le chemin du Seigneur. Tracez dans les terres arides une route pour notre Dieu…car, voici le Seigneur Dieu : Il vient avec puissance et son bras est victorieux.’’ Is.40, 3.10

 

Cette invitation du prophète Isaïe, nous demandant de préparer le chemin du Seigneur et de tracer dans les terres arides une route pour notre Dieu, nous rejoint parfaitement, pour tenir compte de la situation interne de notre pays à la suite de l’élection présidentielle d’octobre dernier, et des événements qui s’en sont suivis, événements dont le village d’Anono, tout comme beaucoup d’autres villes et villages partout dans le pays, ont payé un lourd tribut ! A présent que le calme semble revenir, il nous faut aller plus loin pour affirmer notre foi et notre espérance en Dieu !

 

 L’exhortation contenue dans la première lecture de ce jour, ‘‘consolez, consolez mon peuple’’, souligne bien que Dieu décide de la fin du châtiment et fait survenir quelque chose de neuf. Plus besoin alors d’avoir peur du passé, même s’il est chargé de fautes. Dieu y met fin. Pas besoin non plus d’avoir peur du présent et de l’avenir : Dieu est le plus fort. Aucune puissance au monde, pas même Babylone, ne pourra s’opposer à cette libération car, la délivrance accordée par Dieu est sans égale et c’est à nous tous, d’annoncer cette libération que Dieu nous accorde si généreusement en son Fils Jésus-Christ qui vient à nous ! Mais avant, il nous faudra préparer nos cœurs !

 

Excellences,
Révérends Pères,
Révérendes sœurs,
Frères et sœurs,

Aujourd’hui, deuxième dimanche de l’Avent, la Bonne Nouvelle nous est apportée par Jean le Baptiste. Pour lui, Dieu existe, il l’a rencontré, dans les Ecritures bien sûr, mais aussi dans cette observation passionnée de l’homme qu’il est, lui, Jean, et des hommes qu’il voit autour de lui. Il l’a même rencontré, Dieu, dans cet écart qu’il remarque entre l’homme dont Dieu rêve, selon les Ecritures, et l’homme, produit de nos médiocrités quotidiennes : c’est l’écart entre la justice et la malhonnêteté, entre la liberté et les esclavages de tous genres, ceux de l’argent, du sexe, du pouvoir.

 

Dans cet enjeu formidable de l’avenir de chaque homme et de chaque femme, Jean voit sans hésiter le travail libérateur de l’Esprit et l’extraordinaire capacité de réponse de tout homme. Mais l’homme va-t-il répondre à l’appel, et que répondra-t-il ? Aujourd’hui donc, c’est la grande figure de Jean Baptiste, le précurseur, que l’Eglise évoque. Elle nous invite à devenir comme lui, des messagers de la Bonne Nouvelle, soucieux de préparer notre monde à la venue de Jésus, ce monde si friand du superficiel, ce monde, où c’est la loi du plus fort qui l’emporte, ce monde qui tend de plus en plus à se déshumaniser , où l’homme est un loup pour son prochain. Le chemin que nous indique Jean le baptiste ,de même que la figure qu’il représente, doivent être pour nous, des modèles à imiter. Ce chemin et ce modèle c’est d’abord celui de l’abaissement puis de l’humilité qui font la place à Celui qui peut tout quand nous l’invitons dans nos vies.

 

Cher fils Innocent,

chères filles Agnès et André Emilie,

 

De tout cœur, je voudrais vous féliciter pour la consécration de vos personnes au Christ-Jésus notre Maître et Seigneur ! Ces vingt-cinq années à sa suite, si elles n’ont pas été de tout repos, je voudrais parier qu’elles vous ont offert de grands moments de joie et de communion  profonde avec Jésus-Christ, de rencontres humaines et spirituelles toutes aussi fortes ! C’est ainsi qu’est Jésus, qui se fraye un chemin dans notre histoire, sans jamais rien nous imposer, participant à nos joies tout comme à nos peines ! Ma prière vous accompagnera toujours sur les chemins que le Seigneur voudra vous faire emprunter ;prière qui rejaillit sur tous les autres pretres,religieux et religieuses de ce village.Je vous bénis pour que la suite de votre aventure à la suite de Jésus porte de bons et beaux fruits !

 

Comme vous le savez certainement, le baptême que nous propose Jean Baptiste est finalement un baptême de réconciliation. Reconnaissons qu’en ces heures de l’histoire de notre pays, nous avons bien besoin de réconciliation. Il sait bien, lui, Jean ce qu’il y a dans l’homme et  que les hommes ont besoin d’être bousculés. Sa hâte, c’est de plonger chacun de nous dans le bain des ‘‘Jourdains’’ de liberté vraie et d’attente de Dieu. Avec lui et à sa suite, il ne s’agit plus pour nous de fuir notre responsabilité dans le monde de ce temps ! En ce sens, notre monde a besoin de modèles à suivre et à imiter ! Puis-je vous suggérer, justement à cause de votre consécration, à être humblement pour les hommes et les femmes de votre village, les ‘‘Jean Baptiste’’ des temps nouveaux, qui leur indiquent la seule route qui vaut la peine d’être suivie : Jésus-Christ ?

 

Je vous engage ainsi, à porter et à soutenir les efforts de réconciliation dans ce village : réconciliation de l’homme avec lui-même, réconciliation de l’homme avec son frère, sa sœur, réconciliation de tous avec Dieu ! Je vous exhorte en tant que consacrés et à la suite de Jean Baptiste, à plonger ce village et tous ses habitants, dans le bain du pardon et de la réconciliation, en paroles, par action et dans la prière ! Vous nous rendrez ainsi un bien grand service.

 

Frères et sœurs,

Chers parents du village d’Anono,

 

La vie spirituelle comme vous vous en douter certainement n’est pas un fleuve au cours tranquille; et il est important pour nous tous de comprendre que ce qui importe aujourd’hui, aux yeux du Seigneur, c’est ce que nous faisons tous les jours et quels fruits produisent les arbres de nos vies. L’invitation à la conversion que nous adresse Jean Baptiste est avant tout une question d’ordre personnelle ! Son appel est simple : ‘‘ convertissez-vous !’’, en d’autres mots, préparez-vous à l’épreuve du désert; et cette invitation si elle nous concerne tous en général, je voudrais qu’elle vous interpelle particulièrement dans ce village !

 

Dans la première lecture ,si Dieu décide de faire survenir quelque chose de neuf, cela ne pourra se réaliser que si chacun de nous prend sur lui de changer quelque chose dans sa vie. Vous aussi, prenez l’engagement devant Dieu qui nous offre son Fils unique, de changer quelque chose dans vos vies pour que la voix qui crie dans le désert ne devienne pas finalement, pour vous comme pour beaucoup de nos concitoyens, une voix du désert, c’est-à-dire, une voix dont personne ne fait attention. Nous ne pouvons pas nous offrir ce luxe, si tant est que s’en est un ! C’est trop souvent que nous avons l’impression que Dieu ne nous écoute pas pour ne pas dire qu’il ne nous écoute plus ! Dans ces circonstances, il nous faut accepter cela comme l’épreuve du désert !

 

Le désert, c’est le lieu de l’exode, le lieu de passage de la servitude à la liberté. C’est aussi le lieu de la rencontre de soi-même où les faux fuyants n’ont pas droit de cité, où l’homme est comme nu face à lui-même. Et c’est en ce lieu que l’appel du Seigneur se fait plus urgent. Face à une telle urgence – avec les deux impératifs : préparez et tracez – tous les détails de la vie, de nos vies ont un sens. Il nous faut être attentifs !

 

Se retirer au désert, c’est refuser la facilité, le confort trompeur dans lequel certains parmi nous se complaisent en compromissions de tous genres. Le désert, c’est un lieu ouvert à perte de vue, où les routes ne sont pas clairement tracées, c’est en un mot, une invitation à l’aventure. Invitation pour le peuple hier, mais urgence pour nous, pour vous aujourd’hui car le Seigneur nous invite à quitter un certain monde où nous vivons, pour aller dans un autre monde. Le désert, c’est enfin le lieu de la solitude et du silence, le lieu de la rencontre intérieure et c’est dans ce dépouillement et dans ce silence que Dieu va peut-être pouvoir se faire entendre et nous dire que face à tout ce que nous vivons comme difficultés dans nos vies, il nous faut croire en des lendemains meilleurs.

 

Excellences,                                                                                Révérends Pères,                                                                 Révérendes sœurs,                                                                            Frères et sœurs,

 

L’actualité récente de votre village a été marquée par des actions qui ont réjouit le cœur du pasteur que je suis. C’est avec un réel plaisir que j’ai suivi les activités menées par les religieux, catholiques, harristes et musulmans dans ce village ! Je voudrais saluer, féliciter et encourager de telles initiatives qui, assurément augurent des lendemains meilleurs ! Toujours au chapitre des réalisations, je pense aussi à l’inauguration du bloc administratif réalisé en cette période économique difficile et qui porte le nom de Monseigneur Blaise ANOH, d’affectueuse mémoire ! Mais vous pouvez et devez aller encore plus loin que ces initiatives qui doivent traduire ce qu’il y a au plus profond de vous et que les intempéries de la vie se pressent de mettre à nu, à la première difficulté !

 

Croire en des lendemains meilleurs et aller plus loin, c’est comprendre que les incertitudes du désert que symbolisent les épreuves et autres difficultés que nous rencontrons dans nos efforts de conversion, ne doivent pas nous décourager ! Je fais ici allusion à nos moments de doute, de peur, de trahison, de souffrance et j’en passe. Croire en des lendemains meilleurs, c’est quitter les montagnes d’orgueil que nous avons en nous, les vallées de tiédeur que nous entretenons parfois jalousement, la crainte qui nous habite au quotidien et dont nous ne savons si nous pourrons nous en défaire un jour; le découragement qui nous gagne trop facilement.

 

Dans l’attente des festivités de Noël qui approchent , je vous invite solennellement à suivre les conseils de  l’Apôtre Pierre dans la finale de la lettre que nous avons entendue en deuxième lecture : ‘‘frères bien-aimés, faites donc tout pour que le Christ vous trouve nets et irréprochables, dans la paix’’. Et comme je disais à l’occasion de notre rentrée pastorale, en citant le Pape François, ‘‘le chemin vers une meilleure cohabitation implique toujours que soit reconnue la possibilité que l’autre fasse découvrir une perspective légitime, au moins en partie, quelque chose qui peut être pris en compte, même quand il s’est trompé ou a mal agi. En effet, « l’autre ne doit jamais être enfermé dans ce qu’il a pu dire ou faire, mais il doit être considéré selon la promesse qu’il porte en lui » promesse qui laisse toujours une lueur d’espérance.’’

 

Cette lueur d’espérance, c’est celle que je souhaite pour votre paroisse, pour tout le village d’Anono et ses habitants, pour notre pays la Côte d’Ivoire. Pour garder cette espérance, je voudrais reprendre avec vous et pour vous, les paroles de ce chant : Kasé kin min guè hè mon swuan Hwanté Yankan bi min Man guè lo romin, tèmè hè tchè sé min koli hoba té, hè hon min tèsa ipo mli hè hin min.

 

 Prions donc le Seigneur tout-puissant et miséricordieux, afin qu’il ne laisse pas le souci de nos tâches présentes entraver notre marche à la rencontre de son Fils ; mais qu’il éveille en nous cette intelligence du cœur qui nous prépare à l’accueillir et nous fait entrer dans sa propre vie. Qu’il nous fasse la grâce de nous abaisser, pour faire de la place à Jésus dans nos cœurs et dans nos vies, Lui qui règne, pour les siècles sans fin. AMEN.

 

        Bonne fête à tous.

 

 

+ Jean Pierre Cardinal KUTWÃ
Archevêque Métropolitain d’Abidjan

 

 

 

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