HOMELIE DU CARDINAL JEAN PIERRE KUTWÃ ARCHEVEQUE D’ABIDJAN A L’OCCASION DE L’ORDINATION SACERDOTALE Abidjan le 13 Juillet 2019

Lectures : Si 2, 1-9  / Mt 10, 24-33
Cathédrale Saint Paul Plateau
Abidjan le 13 Juillet 2019
‘‘Que peut-on attendre de disciples qui baignent dans la trahison face au Maître ? Nous reconnaissons-nous dans cette manière de voir les choses ? L’Humilité et la douceur président- elles encore dans chacun des actes que nous posons ? Avons-nous conscience que réclamer des honoraires pour des messes que nous n’avons pas célébrées effectivement est une forme de trahison qui blesse le cœur de notre Rédempteur ? Quelqu’un a dit que se mentir à soi-même est une faute très grave. En le disant, je voudrais nous inviter, chers confrères, à un nouveau  réarmement moral et spirituel… Prenons ensemble l’engagement de ne pas faire souffrir davantage le Christ ! C’est ainsi que notre cri ‘‘Kyrie, eleison – Seigneur, sauve-nous’’ que nous lui adresserons, du plus profond de notre âme, aura du sens !’’


Chers fils,
Chers ordinands,
Au moment où vous faites votre entrée dans l’ordre du presbytérat, il m’a paru opportun de reprendre pour vous les mots que j’adressais à vos ainés dans le sacerdoce ministériel, à l’occasion de la messe chrismale le mardi Saint. Ce rappel s’inscrit dans la logique des temps dans lesquels nous sommes et où tous les actes posés par les religieux que nous sommes sont non seulement mis au grand jour mais également scrutés à la loupe comme pour y déceler un appel à la conversion, pour être optimiste.

J’avais évoqué également ce jour-là, la nécessité d’un aggiornamento afin de nous mettre au diapason des exigences du monde dans lequel nous vivons, un monde qui est devenu très critique vis-à-vis de la religion catholique et qui se délecte à souhait des souffrances qui peuvent être les siennes. J’avais fait remarquer aussi qu’il était important pour nous, de pouvoir nous approprier le contenu de la lettre du Pape François sur le cléricalisme dans l’Eglise, pour l’adapter aux situations concrètes qui sont les nôtres, et qui peuvent constituer également, des situations de grandes souffrances pour nos jeunes églises d’Afrique, et disons-le, pour notre Archidiocèse d’Abidjan.
Chers fils,
Loin de moi l’envie et l’idée de jouer le trouble-fête alors que vos parents et amis ont pris toutes les dispositions pour que ce jour soit inoubliable pour vous. En fait, c’est justement parce que je souhaite du fond de mon cœur de père que votre ministère soit des plus fructueux, que je m’autorise à ces mises en garde qui seront comme des bornes sur les chemins qui seront désormais les vôtres. Comme vous le savez certainement, la vie et le ministère des prêtres se développent toujours dans un contexte historique, empreint de problèmes nouveaux et de solutions inédites, dans lequel vit l’Église en pèlerinage dans le monde.
C’est au nom de ce contexte historique empreint de problèmes nouveaux que je vous invite au début de votre ministère, à ne pas avoir peur. Cette invitation à ne pas avoir peur, je la fonde sur la confiance que je place en chacun de vous parce que Celui qui vous appelle au service de vos frères, connaît mieux que nous tous, ceux sur qui il a posé ses yeux, Lui qui sait être la force de ceux qu’Il appelle à le suivre. Dès lors, je voudrais vous inviter à savoir puiser profond dans la confiance en Celui qui vous associe à son unique sacerdoce ! Il est avec vous ! Il est près de vous tous les jours !
Chant : Christ est avec moi, je n’ai plus peur ; Christ est avec moi je n’aurai plus peur. (Bis) Il est là, près de moi, tous les jours Il est avec moi (Bis)
Chers fils, chers ordinands,
Justement parce que le Christ est là et qu’il vous invite à ne pas avoir peur, qu’il vous faut désormais appréhender avec courage et sérénité la mission qui sera la vôtre en restant fermement attaché à sa personne afin de pouvoir parler sans crainte. Dans ce contexte, tout prêtre doit avant tout raviver sa foi, son espérance et son amour sincère envers le Seigneur, pour pouvoir L’offrir à la contemplation des fidèles et de tous les hommes tel qu’il est véritablement : une Personne vivante, fascinante, qui nous aime plus que quiconque puisqu’il a donné sa vie pour nous. Il s’agit pour vous alors de vous mettre indubitablement du côté de Celui qui un jour a parlé à vos cœurs, vous a séduits pour que vous acceptiez de tout quitter pour ne préférer que Lui et Lui seul, comme votre Maître et Seigneur.

1-    Parler clairement et en pleine lumière.

Dans l’évangile que nous venons d’entendre et qui se situe dans les recommandations faites aux douze quant à la mission qui est la leur, nous apprenons que celui qui veut être témoin de la Bonne Nouvelle, doit parler clairement, en pleine lumière, sans taire le nom de Celui qui l’envoie. Mais s’il y renonce, il perd son âme. Par contre, s’il y est fidèle, Dieu le soutiendra, y compris dans la souffrance physique ou dans la mort.
Parler clairement et en pleine lumière, c’est reconnaître comme dit le Directoire pour le ministère et la vie des prêtres que ‘‘pour être authentique, la Parole doit être transmise sans astuce et sans falsification, mais en manifestant la vérité face à Dieu. Le prêtre évitera avec une maturité responsable de contrefaire, réduire, déformer ou édulcorer le contenu du message divin. Sa tâche en effet, n’est pas d’enseigner sa propre sagesse, mais la Parole de Dieu, et d’inviter tous les hommes avec insistance à la conversion et à la sainteté.’’
Parler clairement et en pleine lumière, c’est comprendre vous-mêmes que le monde qui court après les miracles aujourd’hui, a soif de Dieu, de sa Parole, annoncée par des hommes et des femmes convaincus de leur engagement et qui n’ont qu’un seul et unique objectif : faire en sorte que le Christ soit mieux connu, mieux aimé et toujours premier servi. Je vous en conjure, ne cédez pas à la tentation des nouveaux prophètes pour qui toute occasion est bonne, sous les apparences d’agneaux, pour maintenir davantage leurs frères dans l’illusion que la souffrance n’est pas rédemptrice ! Chers fils, je souhaite fortement que vous soyez au service de cette Parole de Dieu plutôt que de vous en servir. En le disant, je pense à tous ces chrétiens qui sont devenus friands des paroles dites de ‘‘connaissances’’ et qui foisonnent dans nos Eglises.
Ne pas taire le nom de Celui qui l’envoie, c’est accepter aussi d’afficher clairement son identité propre même dans les choses qui paraissent secondaires aujourd’hui. Je pense ici au port de l’habit ecclésiastique et le même Directoire est très explicite sur la question quand il affirme que : ‘‘sauf des situations totalement exceptionnelles, ne pas utiliser l’habit ecclésiastique peut manifester chez le clerc, un sens faible de son identité de pasteur entièrement disponible au service de l’Eglise… dans une société sécularisée et qui tend au matérialisme et où les signes extérieurs des réalités sacrées et surnaturelles disparaissent souvent.’’
2-    Tous, nous avons des efforts à fournir dans notre marche à la suite du Christ
Chers élus du jour,                                                                             Révérends Pères,                                                                                                            
Rester fidèles à l’appel que nous avons entendu, c’est commencer par rester fidèles aux engagements que librement, tous nous avons contracté le jour de notre ordination sacerdotale. Ce jour-là, tous nous avons entendu les mêmes paroles : ‘‘Recevez l’Evangile du Christ que vous avez la mission d’annoncer. Soyez attentif à croire à la Parole que vous lirez, à enseignez ce que vous avez cru, à vivre ce que vous avez enseigné’’.
Vivre ce que nous enseignons est exigeant, raison pour laquelle nous devons tous nous approprier les paroles contenues dans la première lecture de ce jour et qui nous invite à la persévérance dans les épreuves. Dans cette lecture, les indications qui nous sont données sont à comprendre dans leur sens le plus large possible : ‘‘Mon enfant, si tu prétends servir le Seigneur…’’ pouvons-nous lire. Quelle chance de se savoir enfant de Dieu. Cela vaut non seulement pour nous-mêmes prêtres, mais également pour ceux vers qui nous sommes envoyés, les fidèles du Christ ! Enfants d’un même Dieu et père, cohéritiers avec tous des promesses du Christ, c’est ainsi que nous devons aborder nos relations avec nos fidèles. Etre avec les autres et pour les autres, mais sans édulcorer notre identité propre de prêtre, voici un des défis parmi tant d’autres, qu’il nous faut relever.
    Ici encore, il me plaît de reprendre les mots de mon adresse du mardi saint, citant le Saint Pape Jean Paul II : ‘‘Notre activité pastorale exige que nous soyons proches des hommes et de tous leurs problèmes, aussi bien personnels et familiers, que sociaux, mais exige que nous soyons proches de tous ces problèmes comme prêtres. Alors seulement, au milieu de tous ces problèmes, nous restons nous-mêmes » (Lettre Novo Incipiente, 7). Rester nous-mêmes, c’est comprendre que la nouvelle vie qui s’offre à vous exige des ruptures sans lesquelles vous êtes discrédités.

    Je voudrais m’appuyer encore une fois sur mon adresse lors de la messe chrismale pour mieux pointer du doigt, les efforts que je nous invite tous à faire: ‘‘que de souillures dans l’Église, et particulièrement parmi ceux qui, dans le sacerdoce, devraient lui appartenir totalement ! Combien d’orgueil et d’autosuffisance ! […] La trahison des disciples, la réception indigne de son Corps et de son Sang sont certainement les plus grandes souffrances du Rédempteur, celles qui lui transpercent le cœur. Il ne nous reste plus qu’à Lui adresser, du plus profond de notre âme, ce cri: Kyrie, eleison – Seigneur, sauve-nous (cf. Mt 8, 25)’’

J’ai poursuivi en faisant remarquer que les mots choisis pour décrire notre attitude de pasteurs sont durs : ‘‘orgueil et autosuffisance, trahison des disciples, réception indigne de son Corps et de son Sang’’ et se révèlent finalement aux yeux du Saint Père comme ‘‘les plus grandes souffrances du Rédempteur, celles qui lui transpercent le cœur.’’ Ainsi donc, il peut arriver que nous-mêmes causions des souffrances au Christ notre Maître et Seigneur ! Nous devons davantage prendre conscience, sans minimiser les autres types de souffrances, que nous avons des efforts à fournir dans notre marche à la suite du Christ ! Devrais-je rappeler que suivre le Christ est un choix à la fois crucifiant mais exaltant ?

3-    Notre ambition à tous c’est de nous unir davantage au Christ

Frères et sœurs,

 ‘‘Mon enfant, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à être mis à l’épreuve.’’ Oui, des épreuves ne manqueront pas sur les chemins de ces nouveaux prêtres tout comme sur celui de leurs ainés. En me tournant vers vous, je voudrais vous inviter à ne pas être ceux qui favorisent d’une manière ou d’une autre ces épreuves. En effet, si l’on peut reconnaître les bienfaits d’une amitié saine, il nous faut tout mettre en œuvre pour être le levain qui fera monter la pâte d’une nouvelle génération de prêtres, de consacrés au Seigneur.

Cela est dans vos possibilités. Aidez vos prêtres à être de véritables collaborateurs de leurs évêques et de leurs supérieurs ! Comme vous le savez, il ne peut et ne doit pas exister de prêtres acéphales, sans référence ni attache aucune avec leur Ordinaire. Aidez-les comme vous le faites souvent à donner  la primauté au témoignage de vie qui fait découvrir la puissance de l’amour de Dieu et rend persuasive sa parole.

Comme je le disais au mois de février dernier, ‘‘combien de fois certains de vous ne se plaignent-ils pas des célébrations qui durent à n’en point finir et qui ressemblent à de véritables improvisations ? Que dire des prêtres mal vêtus quand il s’agit des célébrations et pimpants pour autre chose ? Je vous confie ces nouveaux prêtres ainsi que tous vos prêtres afin qu’ils vous aident dans votre marche à la suite du Christ !
‘‘Mon enfant, si tu prétends servir le Seigneur, prépare-toi à être mis à l’épreuve.’’ Vous aussi, cette parole vous concerne en ce sens que c’est tous ensemble que nous sommes appelés, chacun, selon son charisme propre, à annoncer le Christ. La critique est aisée dit-on mais l’art difficile. Notre ambition à tous c’est de nous unir davantage au Christ et vous devez aider vos prêtres mais également vous entraider mutuellement à oser certaines ruptures : je pense aux amitiés douteuses qui ne laissent que peu de place à Dieu dans nos vies.
4-    Je vous exhorte à être de bons conseils pour vos prêtres dans un esprit de fraternité

Frères et sœurs,
Comme chaque année, je vous exhorte à être de bons conseils pour vos prêtres dans un esprit de fraternité. Si le Décret pour le ministère et la vie des prêtres les invite eux-mêmes ‘‘… à se sentir spécialement responsables de ceux d’entre eux qui éprouvent des difficultés… à leur apporter leur soutien et, s’il y a lieu, leur faire des remarques discrètes et …à faire toujours preuve d’amour fraternel et de générosité envers ceux qui ont connu la défaillance sur certains points’’, il indique la conduite à tenir en pareille circonstance : ‘‘ ils prieront Dieu pour eux avec insistance et veilleront sans cesse à être vraiment à leur égard des frères et des amis.’’ Telle est la mission que je vous confie encore une fois.
Merci encore une fois aux parents qui permettent que pareille ordination se poursuivent année après année par le don de leurs enfants au Seigneur. Merci à leurs différents formateurs, au Comité diocésain des vocations, à l’Equipe des chargés de vocation, à Monseigneur SANCHEZ qui leur a prêché la retraite. Je n’oublie pas leurs amis, connaissances et bienfaiteurs. Je vous recommande tous à la prière bienveillante de la Vierge Marie. Qu’elle vous obtienne de son Fils grâces et bénédictions Lui à qui appartiennent, la louange, l’honneur et la gloire, dans les siècles sans fin. AMEN !

Bonne fête à tous et
Bon vent aux nouveaux prêtres !

+ Jean Pierre Cardinal KUTWÃ,
Archevêque d’Abidjan

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